En janvier 1910, la Seine connaît une crue exceptionnelle. Une carte postale d'époque montre un café, près de la rue de Paris, transformé en cinéma Victor-Hugo. Dans cette rue vit une fille de 11 ans, promise à un bel avenir : Arletty. Bien sûr, on ne peut avoir la certitude qu'elle a fréquenté cette salle, mais, en ces toutes premières années du XXe siècle, les projections de cinéma se faisaient dans des baraques de fête foraine ou dans des cafés. Alors...
Salles obscures et studios
En l'espace d'un siècle, Courbevoie a compté pas moins de quatorze salles de cinéma. Dans le même temps, une ville comme Neuilly n'en a eu que trois. Pourquoi ? Parce qu'à l'époque la ville était relativement plus éloignée de la capitale que sa voisine. Si les Neuilléens n'hésitaient pas à se rendre à Paris pour se divertir, les Courbevoisiens préféraient rester dans leur ville. Quatorze salles ! Ce chiffre est d'autant plus impressionnant que la plupart d'entre elles ont fonctionné concurremment. En 1923, on dénombrait déjà six salles : le Bécon Palace, le Cinéma Marceau, le Kursaal, le Palace Cinéma, le Casino et le Trianon Cinéma. Quand Arletty affirme qu'elle allait au cinéma tous les samedis soir à Courbevoie, on se dit qu'elle avait déjà l'embarras du choix... Parfois bombardés (comme le Kursaal en 1943), rebaptisés, puis transformés, ces cinémas ont fini par disparaître. Enfin, presque... Aujourd'hui, il n'en reste que deux, l'espace Carpeaux et le cinéma Abel-Gance, qui proposent tous deux une programmation riche et de qualité.
Certes, Courbevoie n'a jamais été Boulogne-Billancourt, où tournaient à plein régime les célèbres Studios du Point-du-Jour. Néanmoins, Jacques Haïk (le créateur du Grand Rex) possédait, au 178, rue Armand-Silvestre, les Studios de la Seine, qui jouissaient d'une belle renommée. Non loin de là, dans les studios Photosonor, près de l'actuelle place des Trois-Frères-Enghels, furent tournés quelques films comme « Marius et Olive à Paris », de Jean Epstein (1939), ou « Le grand pavois », de Jacques Pinoteau (1954). L'un des plus grands décorateurs français, Alexandre Trauner, à qui l'on doit les décors de « Drôle de drame », « Quai des Brumes » et « Les enfants du paradis », y travailla pendant quelques années après la guerre. Enfin, la commune abritait également des laboratoires, comme Cameca, boulevard Saint-Denis, et des constructeurs de matériels de projection, comme l'entreprise Massiot. Mais la ville natale de Louis de Funès attira surtout de nombreux tournages.
« Le chat », de Pierre Granier-Deferre (1971)
Après vingt-cinq ans de mariage, Julien (joué par Jean Gabin) et Clémence (Simone Signoret) ne se supportent plus, même s'ils continuent de vivre ensemble dans leur petit pavillon de Courbevoie. Bougon, Julien ne parle plus qu'à son chat, ce qui rend Clémence hystérique. Pour ne rien arranger, elle boit sec, ce qui exaspère son époux. Ce huis clos oppressant, adapté d'un roman de Georges Simenon publié en 1967, a été presque entièrement tourné à Courbevoie, rue des Anciens-Combattants, et dans le square situé face à l'hôtel de ville.
« Peur sur la ville », d'Henri Verneuil (1975)
C'est la cinquième fois que Jean-Paul Belmondo tourne avec Henri Verneuil. Dans ce thriller, filmé pour l'essentiel en extérieur, à Paris et en région parisienne, Bebel incarne le commissaire Letellier, lancé sur la piste de Minos, un meurtrier fou qui terrorise Paris. Hormis le générique montrant le boulevard circulaire, plusieurs scènes ont été tournées dans le quartier Charras, plus exactement au pied d'un immeuble à l'angle de la rue de Bezons et de la rue Baudin. C'est devant celui-ci que la police retrouvera Nora Elmer (Léa Massari), qui s'est jetée par la fenêtre, terrifiée par les coups de téléphone angoissants de Minos. C'est la seconde fois que le quartier de la Défense sert de cadre à un film, après le méconnu « Trois milliards sans ascenseur », de Roger Pigault, sorti en 1972. Serge Reggiani, Michel Bouquet et Victor Lanoux y étaient les acteurs principaux d'un hold-up commis dans une tour.
« Buffet froid », de Bertrand Blier (1979)
C'est peut-être l'une des plus célèbres scènes tournées dans les couloirs du RER, à la Défense. On y voit Gérard Depardieu (qui incarne le personnage d'Alphonse Tram) debout, les mains dans les poches de son manteau, légèrement penché vers l'avant. A ses pieds, Michel Serrault agonise, poignardé avec le couteau de Tram... Par la suite, dans une tour immense (de Courbevoie), ce dernier fait la connaissance d'un commissaire de police, puis du meurtrier de sa femme, et se trouve entraîné dans une succession de meurtres plus surréalistes les uns que les autres. C'est une fable étrange, abstraite et cruelle, où Bertrand Blier, au sommet de son art, fait jouer son père, Bernard. En dépit de son relatif échec commercial (le film ne totalise que 770 000 entrées, dont 290 000 à Paris), « Buffet froid » a reçu le césar du meilleur scénario avant de devenir un véritable film culte.
« Stupeur et tremblements », d'Alain Corneau (2002)
Quartier d'affaires, la Défense était assurément le cadre idéal pour cette histoire cynique et drôle de la difficile acclimatation d'une jeune Française au monde nippon de l'entreprise, avec tous ses codes incompréhensibles pour un Occidental. Sylvie Testud incarne avec talent Amélie, une jeune femme fascinée par la hiérarchie japonaise, précise et méthodique, et plus encore par sa supérieure directe, Mlle Mori.
« Quand j'étais chanteur », de Xavier Giannoli (2006)
Vingt-sept ans après « Buffet froid », Gérard Depardieu tourne à nouveau à Courbevoie. Cette fois, le comédien, délaissant les couloirs assassins du métro, interprète Alain Moreau, un chanteur de bal quinquagénaire sur le déclin - un rôle plutôt à contre-emploi, où il s'avère très convaincant. Lors d'une soirée de gala à Clermont-Ferrand, le crooner auvergnat rencontre Marion (Cécile de France), une jeune femme récemment arrivée dans la région. Improbable, leur rencontre débouche sur une belle histoire d'amour. Ce très beau film a été en partie tourné à Courbevoie, plus précisément en juillet 2005 au Novotel de la Défense. Notons que son titre est inspiré d'une chanson de Michel Delpech, né à Courbevoie le 26 janvier 1946.
« Jean-Philippe », de Laurent Teul (2006)
Fabrice Lucchini y joue le rôle d'un fan absolu de Johnny, qui se réveille dans un monde sans Johnny, bref, cauchemardesque. Il parvient quand même à retrouver Jean-Philippe Smet, un ex-rocker devenu patron de bowling, et réussit à le convaincre de monter sur scène. En l'espace de trois mois, l'équipe du film a parcouru près de 10 000 kilomètres en région parisienne pour trouver une dizaine d'endroits adaptés au scénario. Deux scènes se déroulent à Courbevoie, l'une dans le parc Diderot, et l'autre au 36, rue Jean-Pierre-Timbaud, au café Le Flash.
« Ma fille a 14 ans », de François Desagnat et Thomas Sorriaux
Dans ce film, dont la sortie est prévue au printemps 2008, Daniel Auteuil incarne un brillant scientifique vivant aux Etats-Unis mais obligé de revenir en France pour s'occuper de sa fille, Eglantine, 14 ans, qu'il n'a jamais élevée. Toutes les scènes d'école ont été tournées à la fin du mois d'août au lycée Paul-Lapie, 5, boulevard Aristide-Briand.
Mais aussi...
« Playtime », de Jacques Tati (1967).
« Le sauvage », de Jean-Paul Rappeneau (1975).
« L'aile ou la cuisse », de Claude Zidi (1976).
« Le thé au harem d'Archimède », de Mehdi Charef (1984).
« Après l'amour », de Diane Kurys (1992).
« Ensemble, c'est tout », de Claude Berri (2006).
« Danse avec lui », de Valérie Guignabodet (2007)
Situé en fait à Courbevoie (92), le "Bécon-Palace" (du nom d'un quartier de la ville) était un établissement proposant de spectacles de music-hall et des films de cinéma.Il a ouvert ses portes au début des années 20. Plus aucune trace de ce bel établissement ne subsiste : il a été démoli et remplacé par un immeuble peu de temps après sa fermeture en 1968.
Le Casino de Bécon, du nom d'un quartier de Courbevoie (92), a ouvert ses portes en 1912. Ce cinéma comportait alors 1200 places, réparties entre l'orchestre et le balcon. Reconstruit dans les années 50, le cinéma arbore une nouvelle façade monumentale, alors que sa capacité est réduite à 750 fauteuils. Le Casino de Bécon subit alors le sort commun de tous les établissements n'ayant pas été morcelés, et ferme ses portes vers le milieu des années 70. Il est reconverti en supermarché, et conserve néanmoins sa belle façade.
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